La charité

La Charité est-elle, pour le maçon, vertu ou faiblesse?

Définition du dictionnaire de l’académie française :
Mot du 10ème siècle par francisation du latin chrétien caritas « amour du prochain » qui lui-même traduit le grec agapè et prenant ensuite le sens de don ou d’aumône.
Mais comme chacun le sait la charité, forme avec la foi et l’espérance les vertus théologales chrétiennes créant ce lien d’unité intime entre dieu et les hommes.
Aussi, en mécréant revendiqué voulant abuser de sa liberté absolue de conscience je proposerais à votre sagacité une définition plus conforme à mes convictions la voici :
Charité – « Principe de lien spirituel moral qui pousse à aimer de manière désintéressée- » ou encore « Amour des hommes considéré comme des semblables » ou encore tout simplement « humanité » « philanthropie »
Vous avez donc compris que je n’aborderai pas la charité à travers le prisme de quelque religion que ce soit en considérant que celle- ci quelle soit vertu ou faiblesse, relève pour ce qui me concerne, essentiellement de l’immanent et non du transcendant
tout en estimant que l’amour du genre humain, constitutif de l’être n’a nul besoin de référence à un principe extérieur pour s’exprimer.
Et pour bien enfoncer le clou, je rappellerai en ce sens la formule de PROTAGORAS « L’homme est la mesure de toute chose, de celles qui sont, en tant qu’elles sont; de celles qui ne sont pas, en tant qu’elles ne sont pas »
Dans cette phrase du célèbre sophiste je ne retiendrai pas aujourd’hui, la position relativiste selon laquelle chacun voit et juge le monde à sa manière, permettant par cette approche de rejeter tout concept de morale et de raison universelle .
Mais qu’en plaçant l’humain au centre de la réflexion, elle crée le socle d’une pensée humaniste porteuse de l’ensemble des valeurs maçonniques .

Mais revenons au sujet qui nous préoccupe et voyons, à travers quelques extraits de ces écrits, ce qu’en pensait justement CICERON. Je cite :
«Quoi de meilleur, quoi de plus excellent que la bonté et la bienfaisance ? N’est ce pas une grave erreur d’imputer à faiblesse de si nobles vertus ? …….. N’y a -t-il pas entre les bons une sorte de charité naturelle ? Le nom même d’amour, d’où vient celui d’amitié, indique une tendresse désintéressée, car aimer les autres pour soi -même, comme on aime les prés, les champs, les troupeaux, d’où l’on tire quelque profit, c’est trafic et non amour… le propre de la charité ainsi que de l’amitié c’est d’être gratuite… »
ou encore « Parmi les vertus humaines, rien n’est plus beau que l’union entre les hommes, que cette association, cette mise en commun de leurs intérêts, cet amour du genre humain qui commençant par la famille, se répand progressivement au dehors sur les parents, les proches, les amis, les voisins, les concitoyens, les alliés, et enfin sur l’espèce humaine tout entière ».
Fin de citation .
Ce qui précède interpelle le maçon que je suis à qui le parcours initiatique impose de se dépasser pour mieux appréhender les vertus déclinée par CICERON et contenues dans la formule de PROTAGORAS.
Conservant ainsi une lecture humaniste de nos pratiques rituelliques qui mettent en exergue la foi et l’espérance en l’homme car il est la mesure de toute chose. Mesure de toutes choses pour perfectionner et dispenser ce qu’il doit puiser au plus profond de lui -même et qui est cet amour du genre humain que nous appelons AGAPE ou CHARITÉ.
A ce stade de mes réflexions, et ayant écarté, par conviction, la définition donnée par Thomas d’Aquin qui, dans son ouvrage Somme théologique, considère la charité comme: « une amitié de l’homme pour dieu. » ou encore dans le même texte que « La charité pour laquelle nous aimons le prochain est une participation de la charité divine. »
Je suis assez tenté par le développement de Pascal dans les « Pensées » où il dit que « La charité est à la fois transcendante ( en tant qu’amour de dieu pour l’homme) et immanente (en tant qu’amour des hommes pour les hommes) redonnant ainsi et en partie à cette vertu la résonance humaniste que la religion avait mise sous le boisseau jusqu’au siècle des lumières. Époque où la libération des idées ainsi que l’évolution sémantique fait que ce mot, dans le monde profane, voit un affaiblissement du sens transcendantal et un renforcement du sens immanent ou social.
Il suffit, pour s’en convaincre de consulter les éditions successives du « dictionnaire de l’académie Française » ou l’on constate que dans les éditions modernes l’article consacré à la charité est plus court et plus sommaire que dans les éditions anciennes et que le sens théologique de la charité à savoir « amour de dieu pour ses créatures » disparaît au profit du sens social qui est le don, l’aumône.
Ou encore les définitions se déclinent en fonction de l’éditeur par « Acte de bonté envers autrui » ou bien « vertu consistant à vouloir le bien d’autrui. »
Le pour qui ? De cet acte de charité étant explicitement résolu dans ces différentes définitions qu’il soit désigné par « créature » ou par « autrui » se pose alors le questionnement du vouloir et du comment dispenser le bien ou faire acte de bonté.
Étant bien entendu que le vouloir et le comment sont étroitement liés et que pour le maçon la charité ne se limite pas à l’aumône ou la bienfaisance, mais y englobe ces liens de fraternité, d’altruisme et d’amour qui font que nous sommes toujours heureux de nous retrouver.
Et puis Je voudrais également évoquer « la Philanthropie ». Socle fondateur du GODF cet acte, que nous définissons comme une générosité désintéressée doit aujourd’hui nous interpeller car l’on assiste à un glissement idéologique remettant en cause son sens premier à travers la création de fondations qu’elles soient d’Etat ou d’entreprises.
Fondations dont le but inavoué est de favoriser le remplacement d’une société solidaire qui nous est chère par une société distributive de charité dans son expression la plus humiliante pour une grande partie de l’humanité.
Et c’est au travers de cette charité que l’on peut en déceler les faiblesses. Et je reviendrai sur cette notion un peu plus tard.
Alors, avant de développer cette lente transformation programmée de la vie en commun, essayons de répondre à travers la générosité au vouloir et au comment indiqués plus haut.
Je ne sais pourquoi mais lorsque l’on évoque la générosité, instantanément mon esprit se focalise sur l’action de donner.
Alors s’installe en moi comme un malaise qui me donne l’impression de faire une course de fonds sur une seule jambe. Pourquoi ce malaise ? alors que l’action de donner, si elle est désintéressée ,est un des éléments essentiels de cet amour du genre humain qui fonde l’action maçonnique.
Je dis bien un des éléments car comme il ne peut y avoir de droits sans devoirs la contrepartie de l’action de donner est l’action RECEVOIR.
Et comme l’action de donner, il est essentiel, pour un maçon, de savoir recevoir, avec humilité, sans gêne ni honte . Et ainsi savoir donner et recevoir renforcent les liens de fraternité et participent à l’élaboration de cet Égrégore si nécessaire en loge au bon équilibre de chacun.
Mais qu’en est- il de l’acte de donner dans le monde profane ? Quelle est la motivation de chacun ? Est ce un besoin? Est ce un Manque ? Et que donne -t-on ? Essayons d’en faire une analyse succincte :
Il y a des « donneurs » invétérés, que je qualifierai de « professionnels » tellement tournés sur eux-mêmes qu’il leurs importe peu de savoir si le bénéficiaire « REÇOIT » ou « REFUSE » car pour lui seul importe son besoin de donner afin de se donner bonne conscience ou satisfaire un EGO glouton. Cela est FAIBLESSE.
De cela il découle, pour nous, maçons, qu’Il est impératif , avant de vouloir apporter à l’autre, de prendre conscience des sentiments qui nous animent afin, si cela est nécessaire, de les surmonter et de faire une réelle offrande.
Il faut donc réaliser que le don véritable commence par soi -même ( Polir sa pierre brute) ou encore « connais toi toi-même » afin de se débarrasser de ces passions négatives qui empêchent de regarder l’autre avec amour.
La véritable générosité devient ainsi invisible, circule entre les êtres, pauvres ou riches, sans signes extérieurs, gratuite et spontanée, désintéressée, en se traduisant dans l’acte par son caractère intimiste, ni vu ni entendu mais dans l’ombre et le silence, entre soi et l’absolu. C’est dans cette unique condition que se vit la pure générosité qui est CHARITÉ cela est VERTU.
Dans ce sens Générosité est synonyme de l’intelligence du cœur, car elle fait agir non pas en fonction de telle ou telle chose, mais en harmonie avec les seules exigences de l’amour, de la volonté et de la fraternité.
La volonté, car c’est bien par elle et elle seule que se construit la générosité. Être généreux c’est se vouloir libre de bien agir et agir comme tel.. Ainsi libéré de ses affects le maçon, maitre de lui ,n’a pas besoin de se chercher des excuses . La volonté lui suffit.
Il était donc nécessaire de faire une incursion à travers la générosité pour ne pas oublier qu’elle seule triomphe quand la volonté est en cause et qu’à l’instar de l’amour, ou de l’amitié, elle seule se soumet à notre vouloir.
Interrogeons SPINOZA qui nous dit en cela « que la générosité est un désir par lequel un individu, à partir du seul commandement de la raison, s’efforce d’assister les autres hommes et d’établir entre eux un lien d’amitié. ».
Cet essai d’explication sur le vouloir et le comment dispenser charité par la générosité m’a mis en mémoire cette suite de rapprochements, dont j’ai oublié l’auteur et que je vous livre :
«Remarquons que la générosité, comme pour toutes les vertus, est plurielle, dans son contenu, comme dans les noms qu’on lui prête qui servent à la désigner. Jointe au courage, elle peut être héroïsme. Jointe à la justice, elle se fait équité. Jointe à la compassion, elle devient bienveillance. Jointe à la miséricorde, la voilà indulgence, jointe à la douceur elle s’appelle bonté . Mais son plus beau nom est son secret que chacun connait : jointe à la tendresse elle devient AMOUR ».
C’est sur ce qui précède que s’est bâti tout le sens de ma réflexion car si, jointe à la douceur et à la tendresse la générosité est vertu, il n’en va pas de même de cette autre façon de dispenser la charité que l’on nomme, à tort, « Philanthropie ».
Car bien que sa définition soit synonyme de charité ou amour de l’humanité, nous assistons aujourd’hui à un détournement du sens premier de ce terme.
Sous ce couvert nous subissons un développement sans précédent de l’action de puissantes fondations à travers le monde à coups de milliards et à grand renfort d’annonces amplement médiatisées.
J’en veux pour exemple cette déclaration de Warren Buffet, qui annonçait il y a quelques temps son intention de verser à diverses fondations philanthropiques, dont celle de Mélinda et Bill Gates, (une des premières fortunes mondiales) 85 %de sa fortune soit un peu plus de 35 Milliards d’€.c’est à dire environ trois fois le budget consacré en France à la solidarité et à l’intégration et plus de 10 fois le montant annuel de l’aide publique internationale accordée au pays en voie de développement. Ce n’est pas rien.
D’autant que ce record philanthropique s’inscrit dans une démarche humaniste plus nuancée qu’on ne le pense et que cette forme d’engagement est intéressante à plusieurs titres.
-D’abord parce qu’elle nous permet de relever que dans les mobiles parfois invoqués et avant même d’en considérer positivement les bienfaits certains en défendent le principe sur un plan négatif.
Dans l’exemple cité plus haut le « philanthrope » souligne, afin de justifier son geste, que s’il donne ainsi c’est aussi pour ne pas donner à ses enfants .Bien entendu à ceux -ci il aura pris le soin d’attribuer de solides rentes qui les mettront définitivement à l’abri du besoin.
Mais l’argument reel est ailleurs et dans ce cas il semble que la vrai motivation soit plus idéologique que désintéressée, voulant transmettre ainsi un message par lequel il veut démontrer que « les droits de succession » qui participent de la solidarité nationale contredisent l’ordre méritocratie sur lequel doit se developper une certaine forme de société.
Ne perdons pas de vue , toutefois, que toute somme versée ou don fait à une fondation échappe totalement à l’impôt et ainsi à la solidarité Nationale.
-Ensuite parce qu’elle invite à reconsidérer assez sérieusement ce principe de solidarité inscrit dans l’article 1er de la constitution du G.O.D.F et qui représente l’ élément fondamental du contrat social Français. S’ouvre donc un immense débat et de multiples difficultés pour le trancher car il n’est pas facile de sonder le cœur des hommes.
En revanche on peut se demander si ce type d’initiative n’est pas l’élément révélateur qui pointe les carences de la volonté publique.
Citons, pour illustrer ce qui précède, l’extrait d’un rapport d’information daté de 2004 et réalisée par un membre du Sénat au nom de la commission des finances :
« Le développement des fondations a paru à votre rapporteur général une des voies à explorer pour concilier la nécessite d’une diminution des prélèvements obligatoires dans un monde ouvert, et celle de satisfaire un nombre toujours plus diversifié de besoins sociaux, sans augmenter et même en diminuant les dépenses publiques…..
L’idée directrice du dispositif proposé est de mobiliser un potentiel de générosité, dont on a des raisons de penser qu’il n’est pas inférieur en France à ce qu’il est dans d’autres pays….. »
IL ressort de cet extrait, une volonté masquée d’utiliser les fondations comme socle ou comme paravent afin de remplacer un modèle de solidarité obligatoire et collective par celui d’une charité facultative et individuelle.
Et ainsi la philanthropie mise au service d’une idéologie politique donnera un regain de vitalité à un principe de charité privée, communautariste, de laquelle resurgiront les vieux démons que sont le paternalisme et la domination de l’autre .
Alors l’on distinguera, dans cette charité ou le manque d’efficacité allié souvent l’injustice, que le bénéficiaire ne sera pas forcément celui qui est le plus en détresse mais celui choisi en fonction des critères propres au donateur. Critères instilant le sentiment d’être redevable, pouvant être vécu comme autant d’humiliations par celui qui reçoit.

CETTE CHARITÉ LA EST FAIBLESSE. !!!!

Et c’est pour tenter d’y remédier que le conseil de la résistance en 1946 a voulu y substituer une protection sociale solidaire publique, anonyme, désintéressée, moralement neutre et également répartie sur les territoires concernés.
Je dirai enfin pour conclure que contrairement à TOCQUEVILLE qui considère que la solidarité, ou « charité légale. » déprave l’homme plus encore qu’elle ne l’ appauvrie en plaçant celui-ci dans le cadre d’une infériorité reconnue le Maçon sincère sait qu’il n’en est rien car pour lui la charité est à la fois bonté fraternité, générosité, tolérance, justice, toujours présente en son cœur à travers cet amour de l’autre dans son acceptation sans réserve.

R.G. – 2009

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